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Port-au-Prince n’attire plus, les motifs de l’exode

Port-au-Prince n’attire plus, les motifs de l’exode
©Johnson Sabin/EPA/MAXPPP - epa09911271 People walk down a street in Tabarre after leaving the Croix-des-Bouquets area to avoid clashes between armed gangs, in Port-au-Prince, Haiti, 26 April 2022. Hundreds of Haitian families have fled in recent days from the violence between armed gangs in Port-au-Prince and have taken refuge in schools, relatives' houses or have gone on to live on the streets. EPA-EFE/Johnson Sabin

La capitale est en train de vider ses habitants depuis quelques mois pour le bénéfice de quelques villes de province. La ville ne séduit plus. Nombre de natifs de Port-au-Prince, las de la capitale, lui tournent le dos. Même ceux qui avaient quitté leur ville natale pour s’installer à Port-au-Prince, clament leur désapprobation de la capitale et retournent vivre dans leur région d’origine. Comment expliquer ce désamour pour Port-au-Prince ? Il est évident que les raisons de ce désir de fuir la capitale haïtienne tournent autour des mêmes thèmes : conflits récurrents entre gangs, kidnappings, viols, agitation sociale politique, embouteillages, insalubrité et morosité.

Certaines grandes villes haïtiennes tiennent leur revanche. Autrefois, elles souffraient d’un exode massif de leurs habitants. Aujourd’hui, c’est la capitale qui perd les siens, alors que la ville de Port-au-Prince était considérée comme la destination privilégiée des paysans, le meilleur lieu d’accueil pour tous les migrants arrivés des campagnes. Poussés par la faim, incapables de se nourrir ou de nourrir leur famille, beaucoup d’entre eux quittaient la misère des champs soit pour s’adonner au commerce informel soit pour chercher du travail ou encore pour poursuivre leurs études dans la capitale. Mais aujourd’hui, avec les affrontements entre gangs, vivre à Port-au-Prince, ne présente plus beaucoup d’intérêt. L’augmentation de la violence extrême des gangs, le kidnapping ont encouragé le départ de beaucoup de Port-au-Princiens.

Les affrontements meurtriers entre gangs rivaux dans la zone métropolitaine de Port-au-Prince, causés par une reconfiguration des alliances entre gangs et des conflits territoriaux, se sont multipliés ces deux dernières années, avec une recrudescence significative alimentant un sentiment d’insécurité généralisé et entraînant des conséquences dramatiques pour la population civile.

Des rafales d’armes automatiques crépitent tous les jours à Cité Soleil, Bel-Air, Solino, Delmas 2, 4 et 6, La Saline, Martissant, Croix-des-Bouquets, Tabarre, Canaan, Laboule 12, Thomassin, Fermathe. Des factions de gangs « G9 » et « G Pep » s’y affrontent ou y imposent leurs lois, sans que la police, en manque d’hommes et d’équipements, n’intervienne. Des milliers de familles n’ont d’autre choix que de fuir ces quartiers de peur d’être victimes de balles perdues.

Déjà entravées par le risque d’enlèvement, beaucoup de familles fuient l’insécurité qui sévit dans la capitale. C’est notamment le cas de Jacob (prénom d’emprunt), directeur d’un centre de formation d’opérateurs en engins de chantier qui a délocalisé son école de Port-au-Prince à Hinche. « J’ai quitté Port-au-Prince pour deux raisons : changer de cadre de vie et permettre à mon école de continuer d’exister », précise Jacob en racontant que « les étudiants ne fréquentaient plus l’établissement par ce qu’il était situé à Delmas 4, un quartier contrôlé par Jimmy Chérizier dit (Barbecue). Puisque ce sont presque tous les quartiers de Port-au-Prince qui sont tombés aux mains des gangs, j’ai décidé alors d’emménager à Hinche et y domicilier mon école ».

Quant au journaliste Vinel Fleurilus, reconverti en prédicateur, son déménagement à Pignon lui a porté chance. « La vie est plus paisible ici », reconnaît le natif de Pignon. « J’ai ouvert un bar à Pignon et ça marche plutôt bien », se réjouit-il. « Quand j’habitais à Jérusalem (quartier situé à l’entrée nord de la capitale), les gangs de Canaan n’avaient pas encore étendu leurs tentacules », poursuit le prédicateur qui dit avoir eu le nez fin. « Mais avant cela, je songeais déjà à partir de la capitale parce que je pressentais le danger », ajoute-t-il. Le bruit, l’embouteillage, la saleté dans les rues, le trafic routier, la pollution… Port-au-Prince n’était tout simplement pas pour lui. « Il m’est arrivé d’avoir l’impression d’avoir fait la plus grosse erreur de ma vie en quittant Pignon pour la capitale », regrette l’ancien directeur des programmes de UNI FM.

« Se cacher sous le lit, peur de sortir trop tôt et de rentrer trop tard ! Regarder à gauche d’abord ensuite à droite avant de partir du quartier », Nadine n’y va pas par quatre chemins pour résumer ce qu’était sa vie port-au-princienne. « Je n’ai pas attendu que ça dérape avant de fuir Solino avec mes deux enfants. On nous avait signalé que les gangs de Bel-Air allaient nous attaquer et j’ai dû m’enfuir.  Aujourd’hui, Nadine et ses enfants vivent loin de l’enfer des gangs à Jérémie.

Une vie plus douce, un rythme plus détendu, comme Nadine, David Théodore qui était entré à Port-au-Prince pour y entreprendre des études, a quitté la capitale pour retourner à Jérémie, sa ville natale. Parfois, le hasard fait bien les choses. David a ouvert une école de journalisme dans la cité des poètes, qui lui permet de gagner sa vie tout en permettant aux jeunes jérémiens d’étudier chez eux. Si d’autres hésitent encore, c’est parce qu’ils ont peur de sacrifier leur carrière en partant de la capitale ou bien de ne pas s’y retrouver financièrement.

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